Intérêt économique des protéines végétales
Un rôle historique de survie
Les protéines végétales, présentes dans les graines de céréales et de légumineuses, constituent l’une des bases les plus importantes de l’alimentation humaine depuis environ dix mille ans. Leur grande capacité de conservation et leur facilité de reproduction en ont fait des aliments de survie par excellence. Elles pouvaient être stockées, transportées, semées, et utilisées pour franchir les périodes de famine.
C’est grâce à ces aliments que l’homme a pu se sédentariser, construire des villages puis des villes, développer l’agriculture, et bâtir progressivement des civilisations entières. Le blé au Moyen-Orient, le riz en Asie, le maïs en Amérique centrale, ou encore les fèves et les lentilles en Méditerranée, sont devenus les piliers de sociétés entières. Partout, chaque culture a associé ces céréales à des légumineuses riches en protéines végétales pour assurer sa survie et augmenter ses capacités de reproduction.
Ces aliments n’étaient certes pas idéaux sur le plan nutritionnel. Ils entraînaient souvent des carences et limitaient la diversité alimentaire. Mais ils ont permis aux humains de vivre suffisamment longtemps pour se reproduire et assurer une croissance démographique rapide. C’est ainsi qu’ils ont favorisé l’expansion de l’humanité sur tous les continents, réduisant au fil des siècles les espaces sauvages de la planète.
Une importance économique incontestable
D’un point de vue économique, les protéines végétales ont constitué un atout décisif dans l’histoire humaine. Elles ont nourri des populations entières qui n’avaient pas accès à suffisamment de protéines animales, pourtant plus riches et plus équilibrées sur le plan nutritionnel. Leur coût de production réduit, leur facilité de stockage et la possibilité de les cultiver aussi bien à petite qu’à grande échelle en ont fait une ressource stratégique. Grâce à elles, des sociétés ont pu traverser des famines, surmonter des crises alimentaires et assurer leur survie collective sans s’effondrer.
C’est pour cette raison que, dans toutes les cultures sédentaires depuis environ dix millénaires, céréales et légumineuses ont pris une place centrale. Mais il faut garder en mémoire que dix mille ans représentent très peu à l’échelle de l’évolution humaine. Notre organisme, façonné par des centaines de milliers d’années de chasse et de cueillette, reste profondément adapté à un régime varié, riche en végétaux frais mais reposant surtout sur les graisses et protéines animales comme sources principales d’énergie et de construction. À l’inverse, une alimentation centrée sur des graines riches en glucides, en protéines végétales, en graisses végétales et en anti-nutriments ne correspond pas à notre physiologie originelle et entraîne, selon les résistances individuelles, des déséquilibres nutritionnels à court, moyen ou long terme.
Du rôle modeste à l’explosion industrielle
Dans les cultures industrialisées, les protéines végétales sont longtemps restées secondaires par rapport aux protéines animales. Elles occupaient une place marginale, reléguées au rôle d’aliments de complément ou de base économique pour les périodes de restriction alimentaire. Ce n’est que récemment, avec la montée du végétarisme et surtout du véganisme, qu’elles ont été propulsées au centre du discours alimentaire.
Ce mouvement s’est nourri d’un rejet légitime des pratiques d’élevage intensif industriel, marqué par la souffrance animale, la standardisation extrême et des impacts écologiques majeurs des animaux nourris aux céréales, protéines et graisses végétales. Face à ces dérives, il était naturel que de nombreux consommateurs se détournent de la viande issue de systèmes fermés et destructeurs. Mais cette prise de conscience a entraîné un glissement idéologique. Pour répondre à une critique juste, on a promu massivement les protéines végétales comme solution universelle, occultant leurs limites nutritionnelles et sanitaires, et surtout sans explorer des modèles plus cohérents qui remettent au centre de l’alimentation la symbiose entre le monde végétal et le monde animal, moteur fondamental de la vie sur Terre. Il est facile de mettre en avant les animaux d’élevage sauvés de l’abattage, tout en ignorant la destruction massive des animaux sauvages, des insectes et des oiseaux provoquée par la culture intensive et la monoculture végétale. Et on ne parle même pas de la destruction de la vie du sol si dépendante des herbivores.
L’illusion nutritionnelle et industrielle
Le grand public n’adopte réellement les protéines végétales que lorsqu’elles imitent les protéines animales. Cette tendance a ouvert un boulevard à l’ultra-transformation industrielle. Steaks de soja ou de pois, faux fromages à base d’huiles et d’additifs, substituts d’œufs, boissons ultra transformées enrichies, desserts et laits végétaux… Autant de produits qui, derrière leur apparence rassurante, sont très éloignés d’une alimentation naturelle et saine.
Sur le plan nutritionnel, le risque de carences en nutriments et en acides aminés essentiels reste élevé, car la complémentarité des protéines végétales n’est pas toujours atteinte dans la pratique quotidienne. De plus, la viande est un aliment très complet à de nombreux niveaux. À cela s’ajoute une exposition accrue aux anti-nutriments (lectines, phytates, saponines), susceptibles de perturber l’absorption des minéraux et de fragiliser le système digestif. Pour compenser ces déficits, l’industrie recourt massivement à l’enrichissement artificiel en vitamines, minéraux, protéines isolées ou antioxydants de synthèse. L’aliment devient alors un assemblage chimique, très éloigné de la matrice vivante et complexe d’un aliment complet.
Cette étude européenne sur 24 ingrédients protéiques végétaux révèle de nombreux problèmes liés à la production de protéines végétales pour le remplacement des protéines animales et le manque de données actuelles pour conclure à leur réel intérêt sur le plan nutritionnel et environnemental. Sur le plan nutritionnel, "contrairement aux protéines animales, les alternatives végétales manquent souvent de certains acides aminés indispensables, présents en proportions inférieures aux profils de référence." (...) Ces variations peuvent venir de la qualité des sols de culture, du climat et autres facteurs environnementaux mais également "des procédés de fabrication dont les enrichissements des produits et les traitements thermiques élevés." Les conséquences sont diverses sur le plan environnemental et les impacts sur la santé des consommateurs notamment : les teneurs en acides aminés des protéines végétales, "généralement inférieures à la valeur recommandée par la FAO (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture) pour les sources de protéines uniques" entraînent une consommation accrue de protéines de différentes sources et de céréales pour pallier ces limitations en acides aminés. Il est également souligné que les protéines végétales peuvent présenter des saveurs qui ne s'approchent pas assez de la saveur des produits qu'ils sont censés substituer, obligeant à "des niveaux de transformation plus élevés", les assimilant à des produits ultra-transformés, et dont l'impact peut être "négatif sur les facteurs de durabilité." Ce "paradoxe de durabilité" est l'idée que la transformation intensive nécessaire pour produire des protéines végétales hautement fonctionnelles peut annuler une partie des bénéfices environnementaux associés à sa production.
Etzbach et al., "Opportunités et défis des protéines végétales en tant qu’ingrédients fonctionnels pour la production alimentaire", 2 décembre 2024, PNAS (revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America)
Un modèle économique redoutablement rentable
Sur le plan économique, l’intérêt est évident. Produire une grande diversité de légumes frais, des viandes issues de pâturages extensifs ou des aliments traditionnels de qualité demande du temps, du soin et des coûts plus élevés. En revanche, transformer des céréales, légumineuses, fruits et oléagineux en produits de masse standardisés est hautement rentable. Ces matières premières sont peu coûteuses, faciles à stocker et peuvent être transformées en une infinité de préparations.
De plus, leur teneur élevée en glucides les rend addictives : elles stimulent les circuits de la récompense et incitent à une consommation répétée. L’industrie agroalimentaire exploite ce mécanisme en multipliant les produits transformés, riches en sucres, en huiles végétales et en amidons, qui séduisent le consommateur tout en maximisant les marges. Le résultat est une alimentation uniformisée, construite pour flatter le palais mais qui affaiblit la santé, tandis qu’une alimentation fondée sur une véritable diversité de légumes, de baies et de viandes issues du pâturage, bien que moins rentable, plus exigeante et donc marginalisée, demeure la plus équilibrée.
Le piège du greenwashing
L’argument écologique est au cœur du discours pro-végétarien et pro-végan. Les substituts végétaux sont présentés comme une réponse durable aux problèmes environnementaux. Pourtant, ce discours repose en grande partie sur du greenwashing.
La culture intensive de légumineuses ou de soja génère monocultures, perte de biodiversité, dépendance aux engrais et aux pesticides, sans compter les transports et transformations industrielles nécessaires pour produire des substituts alimentaires.
Les campagnes marketing masquent ces réalités en insistant sur l’éthique animale et l’écologie, mais la logique reste celle de l’agro-industrie. Produire à grande échelle des aliments standardisés, hautement rentables, et maintenir les consommateurs dans une dépendance aux produits transformés.
Les végétariens qui consomment beaucoup de protéines végétales sous leur forme brute ont recours le plus souvent aux produits laitiers et aux œufs qui proviennent d’animaux dépendant des cultures de céréales, d’huiles et de protéines végétales et ont, de ce fait, un coût environnemental important.
Les ACV (Analyses de Cycle de Vie) quantifient les impacts environnementaux d’un produit, d’un service ou d’un procédé sur l’ensemble de son cycle de vie, de l’extraction des matières premières jusqu’à la fin de vie, en passant par la fabrication, le transport et l’usage. La production des protéines végétales prend rarement en compte tous les aspects de la production, notamment la fin de chaîne avec la transformation, faussant possiblement les conclusions sur l'impact réel de leur production. Une étude publiée en 2021 rappelle pourtant que "globalement, la transformation est un élément très important de l'impact environnemental total, parfois plus important que celui de la culture" dans la production de nourriture. Omettre d'inclure certains procédés de transformation a des conséquences non négligeables sur les résultats obtenus : à titre d'exemple, "l'omission de l'étape de précipitation des protéines lors du fractionnement aqueux doux réduit significativement le potentiel de réchauffement global (PRG), la cancérogénicité humaine, la consommation d'eau et la raréfaction des ressources fossiles de 30 à 40 %." Il est à noter que la plupart des derniers travaux, notamment européens, sur la question appellent à des ACV plus complètes intégrant toute la chaîne de valeur et à éviter les généralisations simplistes sur la supériorité systématique des protéines végétales.
Lie-Piang et al., "Les ingrédients moins raffinés ont un impact environnemental plus faible – Une évaluation du cycle de vie des ingrédients riches en protéines issus de cultures oléagineuses et féculières", Journal of Cleaner Production, 10 avril 2021, Volume 292.
Conclusion
Les protéines végétales ont joué un rôle fondamental dans l’histoire humaine. Elles ont permis la sédentarisation, la survie et l’essor démographique. Sur le plan économique, elles ont été et restent une ressource pour les périodes de restriction alimentaire. Mais elles ne sont ni idéales pour la santé, ni la solution aux crises écologiques actuelles.
Leur promotion actuelle, souvent excessive, profite avant tout aux industriels de l’agroalimentaire, qui transforment des aliments simples en produits complexes et rentables. Loin d’une alimentation saine, naturelle et durable, cette tendance perpétue la logique de l’ultra-transformation et du greenwashing.
La véritable durabilité ne se trouve ni dans la dépendance aux substituts végétaux, industrialisés ou non, ni dans l’élevage intensif dépendant des cultures, mais dans une autre forme d’équilibre. Des animaux en pâturage, une agriculture maraîchère variée, et une consommation responsable qui respecte à la fois l’homme, l’animal et la terre.