
Histoire des légumineuses et rôle social dans l’alimentation humaine
Origines préhistoriques : une présence marginale dans l’alimentation des chasseurs-cueilleurs.
Chez les populations de chasseurs-cueilleurs dont l’histoire remonte à plusieurs millions d’années, l’alimentation reposait largement sur la viande de chasse, le poisson, les fruits de mer dans les zones côtières. Ces sources constituaient la base protéique la plus accessible, la plus complète et la plus adaptée aux besoins humains. La cueillette de végétaux sauvages diversifiés et de baies saisonniers venait compléter ce régime.
Les légumineuses sauvages (lentilles, pois, fèves, vesces, lupins ou pois chiches) sous leur forme originelle plus petite et moins glucidique, faisaient partie de cette cueillette, mais de manière secondaire et aléatoire. Elles étaient récoltées en petites quantités et nécessitaient souvent des préparations (trempage, cuisson, grillage) pour être digestes. Les traces archéologiques retrouvées montrent qu’elles étaient consommées, mais leur rôle restait celui d’un appoint saisonnier, pas d’un aliment structurant.
Ce n’est qu’avec la sédentarisation et la domestication que les légumineuses, tout comme les céréales, sont devenues un véritable pilier alimentaire. Ce rôle ne s’est pas imposé par choix ou par supériorité nutritionnelle, mais par nécessité, notamment pour la subsistance des classes populaires qui n’avaient pas un accès constant à la viande. Dès le départ, elles ont marqué la transition vers des régimes de survie, beaucoup moins riches et nutritifs que ceux des chasseurs-cueilleurs. Cette transformation a progressivement entraîné des carences importantes et un affaiblissement du corps humain, comme le montre l’étude comparative des os des derniers chasseurs-cueilleurs et des premiers sédentaires ayant cohabité sur plusieurs générations.
La domestication au Néolithique : naissance des régimes céréales + légumineuses.
La révolution néolithique (10 000 – 8 000 av. J-C.) marque un tournant dans l’évolution de l’alimentation humaine. Dans le Croissant fertile, les premières communautés agricoles domestiquent lentilles, pois, fèves et pois chiches, en parallèle du blé et de l’orge. Cette combinaison céréales + légumineuses devient centrale, car elle assure une complémentarité protéique (acides aminés essentiels) qui pallie partiellement le manque de viande.
- En Chine, le soja devient la légumineuse nourricière, accompagné du haricot mungo et parfois des pois chiches dans certaines régions.
- En Afrique de l’Ouest, le niébé (ou haricot à œil noir) et le pois bambara sont cultivés, ainsi que certaines variétés locales de lentilles et de pois pour compléter l’alimentation des populations.
- En Amérique, le haricot commun s’associe au maïs et à la courge dans le système de la milpa (technique des 3 soeurs), tandis que le haricot noir et le haricot rouge sont largement cultivés par les civilisations mésoaméricaines.
- En Europe, dès le Néolithique, les premières communautés agricoles domestiquent des lentilles, des pois et des fèves, qui complètent progressivement le blé et l’orge. Ces légumineuses deviennent particulièrement importantes pour les populations rurales et les classes populaires, qui n’ont pas toujours accès à la viande.
- En Inde, les lentilles, les pois et le gram (pois chiche indien) constituent une base protéique essentielle, souvent combinée avec le riz pour améliorer l’équilibre nutritionnel.
Cette transition agricole, souvent présentée comme un progrès, accentue en réalité les inégalités alimentaires. L’élevage procure de la viande, mais celle-ci reste souvent réservée aux élites. La majorité de la population dépend désormais des céréales et des légumineuses pour assurer ses besoins énergétiques et protéiques. La diversité et la qualité des nutriments diminuent, ce qui affecte directement la santé et la longévité en bonne santé.
Grandes civilisations : un aliment du peuple.
Les civilisations antiques illustrent toutes un partage inégal de l’alimentation. La viande et le poisson restaient principalement l’apanage des élites, tandis que les légumineuses, les céréales et les légumes secs constituaient la base alimentaire des populations populaires.
- En Égypte ancienne, les lentilles et les fèves nourrissaient les ouvriers et les paysans, tandis que la viande et le poisson étaient surtout consommés par les classes supérieures.
- En Grèce et à Rome, les légumineuses telles que les pois, les fèves et les lentilles constituaient la nourriture quotidienne des soldats, des esclaves et du peuple, tandis que les banquets aristocratiques mettaient en avant des produits animaux divers.
- En Inde, les lentilles, les pois et le gram combinés au riz tentaient d’assurer un équilibre nutritionnel minimal aux classes populaires qui consommaient peu de viande.
- En Chine, la viande (porc, volaille, gibier) était principalement consommée par les élites, tandis que la majorité de la population, paysanne et ouvrière, n’y avait accès que rarement, lors de fêtes ou d’occasions particulières. Pour ces populations, les légumineuses comme le soja et le haricot mungo, souvent fermentés, constituaient un apport protéique régulier et un élément central de l’alimentation quotidienne.
- En Amérique s’est développé le système de la milpa. Le maïs sert de support aux haricots grimpants, les haricots enrichissent le sol en azote, et la courge couvre le sol, limitant les mauvaises herbes et conservant l’humidité. Les haricots noirs et rouges restaient largement cultivés pour assurer un apport protéique régulier à la population. La chasse et l’élevage ne fournissaient pas de protéines suffisantes pour la grande majorité des ouvriers et des paysans. La viande restait un complément occasionnel, rarement consommé en grande quantité, tandis que les légumineuses et le maïs constituaient la base quotidienne de l’alimentation.
- En Europe, y compris en Gaule antique, la viande sauvage était déjà un produit de luxe, principalement consommé par les élites et les guerriers. Les paysans avaient un accès limité à la viande de gibier et devaient se contenter des abats, du porc domestique, de la volaille et des légumineuses qu’ils cultivaient eux-mêmes. La chasse sur les terres seigneuriales était strictement interdite pour les populations rurales, un système qui se poursuivra au Moyen Âge. Les légumineuses, les céréales et les légumes secs constituaient donc la base de l’alimentation des masses, tandis que la viande restait rare et coûteuse.
- Dans le monde islamique, les pois chiches, lentilles et fèves occupaient une place centrale dans l’alimentation quotidienne, mais aussi dans la cuisine raffinée, à l’origine de plats emblématiques encore consommés aujourd’hui (houmous, falafels, couscous aux pois chiches) parfois accompagnés de viandes.
Dans ces sociétés de plus en plus urbanisées et densément peuplées, la viande devenait rare et chère pour la majorité de la population. Les légumineuses s’imposaient alors comme aliments de survie, au même titre que les céréales et les féculents, permettant simplement de couvrir plus ou moins efficacement les besoins énergétiques et protéiques de base.
Époque moderne : mondialisation et survie en temps de crise.
Avec les grandes découvertes, le haricot commun d’Amérique remplace progressivement la fève en Europe. Il s’impose dans de nombreux plats populaires.
Aux 18ᵉ et 19ᵉ siècles, les révolutions agricole et industrielle transforment les régimes. La viande se démocratise lentement, mais reste encore coûteuse pour les ouvriers. En temps de famine ou de guerre, les légumineuses deviennent des aliments de survie. Dans certaines régions (Italie du Sud, Espagne, Balkans), elles restent le plat quotidien des pauvres.
La viande continue de symboliser le statut social, tandis que les légumineuses sont perçues comme « la nourriture des pauvres ».
Période contemporaine : oubli, puis redécouverte.
Au 20ᵉ siècle, l’industrialisation de l’élevage rend la viande plus accessible dans les pays riches. Les légumineuses perdent en popularité en Europe occidentale, associées aux périodes de disette ou aux classes populaires.
Elles restent pourtant la base alimentaire dans de vastes régions du monde (Inde, Afrique, Amérique latine), où l’accès à la viande reste limité.
Aujourd’hui, elles connaissent un retour en force en réaction aux dérives de l’élevage intensif, où les conditions de vie des animaux sont souvent épouvantables et où les animaux nourris aux céréales, aux protéines et aux huiles végétales entraînent un coût écologique trop élevé.
Face à la surconsommation de produits animaux non indispensables, comme les produits laitiers ou la viande de volaille et de porc issus d’élevages intensifs, elles sont perçues par comparaison comme une solution écologique, alors que rien n’est plus durable que les protéines provenant d’animaux qui pâturent et se nourrissent à l’herbe.
Leur valeur nutritionnelle est souvent mise en avant (richesse en protéines, fibres, minéraux), mais cela occulte le fait qu’elles sont moins bien assimilables, incomplètes et que les anti-nutriments qu’elles contiennent peuvent poser de nombreux problèmes.
Les protéines végétales ne constituent pas une alternative durable à la viande, car leur culture entraîne un coût écologique important.
Le véritable enjeu consiste à revenir à une consommation physiologique de viande provenant d’animaux élevés en milieu naturel, tout en limitant la consommation de produits animaux dépendant fortement des cultures intensives, comme le porc, les œufs, la volaille et les produits laitiers.
Il ne faut pas oublier que les cultures de légumineuses et de céréales en monoculture sont loin d’être durables. Elles participent à la dégradation des sols, à la perte de biodiversité et à la dépendance aux engrais et pesticides. L’idée que les protéines végétales représentent une solution écologique est une simplification. Il est évident que produire des céréales, des légumineuses et des oléagineux pour alimenter l’élevage industriel constitue une aberration écologique. Mais le problème n’est pas la viande en elle-même, mais l’élevage intensif d’animaux nourris aux céréales, au soja et aux huiles végétales. Une alternative réellement durable consiste à favoriser les animaux de pâturage nourris à l’herbe, qui entretiennent les écosystèmes et fournissent une viande riche en nutriments.
Il est regrettable que, pour maximiser la rentabilité, l’industrie ait privilégié l’élevage dépendant des cultures (volailles, production d’œufs, produits laitiers ou porc) au détriment des animaux herbivores nourris à l’herbe dans les milieux naturels, comme les bovins, les moutons ou les chèvres. Mais cette véritable solution écologique n’est pas aussi rentable et n’est donc pas mise en avant. Même dans les études qui diabolisent à juste titre la surconsommation de la viande et des produits animaux dépendant des cultures , il est volontairement occulté l’impact écologique très positif des élevages dans les pâturages.
Si les protéines végétales connaissent aujourd’hui un essor, ce n’est pas par supériorité nutritionnelle, mais parce qu’elles représentent un eldorado pour les industriels. Ces derniers fabriquent des « fausses viandes », des « faux laits » et des « faux fromages » hautement transformés, surfant sur l’idéologie végan et sur la culpabilisation des consommateurs. Ce marché est avant tout économique, non écologique ni sanitaire.
Inégalités alimentaires – répercussions sur la santé
Depuis la sédentarisation, les légumineuses reflètent une constante. Elles ont servi d’aliment de base et de survie pour les populations. Elles ont permis une nutrition minimale lorsqu’elles étaient associées aux céréales. Mais elles témoignent aussi des inégalités sociales. Plus la population augmentait, plus la viande devenait un privilège, et plus les classes populaires dépendaient des légumineuses. Ces inégalités ont eu des répercussions sur la santé. Les populations rurales et urbaines pauvres survivaient grâce aux légumineuses, mais dans des conditions de carences en nutriments.
Aujourd’hui encore, le débat sur les protéines végétales et animales reflète les mêmes tensions. Ce ne sont pas les protéines animales qui posent problème, mais la manière dont nous élevons les animaux et dont nous cultivons la terre. Une alimentation équilibrée, durable et respectueuse de la santé humaine passe par la valorisation des élevages herbagers et non par la dépendance aux cultures industrielles de légumineuses, céréales et huiles végétales.
Un article publié par l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement en 2022 souligne différents bénéfices de l'élevage des animaux à viande et à produits laitiers aux pâturages. D'abord, en termes éthique et écologique : "Les élevages de ruminants qui valorisent de l’herbe, notamment dans les zones où les cultures ne sont pas possibles, fournissent de nombreux services écosystémiques : ils participent à la préservation des paysages et de la biodiversité, ils offrent aux animaux la possibilité d’exprimer leurs comportements naturels". Cependant, en plus que d'être bons pour notre environnement et pour le bien-être animal, ils offrent une qualité nutritionnelle (et gustative) incomparable, notamment "une augmentation de la teneur en acides gras polyinsaturés (...) comme les oméga-3, une amélioration du rapport oméga-6/oméga-3, une augmentation des teneurs en antioxydants et en certaines vitamines."
INRAE, 2 septembre 2022, Alimentation à l’herbe des herbivores : ce qui change pour les produits laitiers et carnés.
Conclusion
L’histoire des légumineuses montre qu’avant la sédentarisation, il y a environ 10 000 ans, elles n’ont jamais été l’aliment principal de l’humanité. Depuis des millions d’années, les protéines animales, issues de la chasse puis de l’élevage, ont constitué la base de l’alimentation humaine, offrant l’apport le plus complet et le mieux adapté aux besoins physiologiques. Les légumineuses et autres protéines végétales, relativement récentes dans notre alimentation, sont devenues un aliment de survie, permettant à l’homme de se sédentariser et de multiplier sa population.
Aujourd’hui, la promotion des protéines végétales n’a rien d’une nécessité nutritionnelle. Elle reflète avant tout des intérêts industriels. Cultiver des légumineuses, du soja ou d’autres protéines végétales est extrêmement rentable, même au prix de la destruction des écosystèmes, des sols et de la biodiversité. Ces surfaces agricoles pourraient être utilisées pour des cultures indispensables, comme le maraîchage ou les pâturages pour animaux nourris à l’herbe. Produire des « fausses viandes » ou des « faux laits », en revanche, génère des profits bien plus importants.
L’analyse historique et contemporaine des légumineuses délivre une leçon essentielle. Les protéines animales demeurent la référence pour la santé humaine, tandis que les protéines végétales restent des solutions de survie pour de nombreuses populations. Un retour à la symbiose animal‑végétal est urgent, tant pour la santé humaine que pour la préservation des écosystèmes. Malheureusement, les protéines végétales représentent une véritable aubaine pour les industriels, générant des profits importants au détriment de l’écologie et de la sauvegarde des pâturages, pourtant indispensables au bon fonctionnement des écosystèmes.